BRÈVE HISTOIRE DE LA LAÏCITÉ

Aristide Briand, père de la loi de 1905

Pendant des siècles, la France a été « la fille ainée de l’église ». Une Eglise toute puissante qui apportait à la monarchie son autorité, son réseau, et lui conférait sa légitimité.

L’idée de laïcité ne se résumait pas toutefois à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Elle exprimait aussi, pour la première fois, l’affirmation de principes universels, dont la liberté de conscience et l’égalité des droits exprimés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est ce qui a permis, par exemple, de donner aux juifs la pleine et entière citoyenneté, à laquelle ils n’avaient pas droit jusque là.

Ce principe, fut d’ailleurs intégré au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958.
On trouve notamment  à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 cette affirmation : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi »

La définition de la laïcité est alors très claire : il ne s’agit pas de combattre les religions, mais d’empêcher leur influence sur le politique et sur les institutions. Il s’agit en réalité, de  renvoyer l’Eglise Catholique à son seul rôle de culte.

La première institution visée par la laïcité est, sous la 3ème République, l’enseignement public, qui devient laïc et obligatoire, depuis les lois de Jules Ferry en 1882, et Gobelet en 1886. Ces lois instaurent une « instruction morale et civique » à la place de l’enseignement de la morale religieuse et impose la neutralité religieuse aux personnels et aux programmes.

En balayant l’Ancien Régime, la Révolution Française de 1789 a fait voler en éclat les privilèges ecclésiastiques,  et l’idée d’une séparation des compétences de l’Eglise, restreinte à son rôle cultuel, et de l’Etat, qui seul exercerait le pouvoir, s’est naturellement imposée.

En 1902, Emile Combes, dit « Le petit père Combes », ancien séminariste devenu athée, anti-clérical forcené, devient chef du gouvernement. Il ferme un grand nombre d’écoles privées catholiques, met fin au Concordat, ce qui provoque une rupture diplomatique avec le Vatican. Combes cherche à faire voter une loi imposant une laïcité stricte, excluant lma religion de l’espace public, contre Aristide Briand, qui propose une loi plus respectueuse des libertés individuelles. C’est la vision de ce dernier qui l’emporte finalement et , le 9 décembre 1905 est votée la loi qui codifie les principes de la laïcité en France. Elle scelle la séparation de l’église et de l’Etat, qui, pas plus que les collectivités locales, ne peut désormais financer aucun culte.

Mais surtout, cette loi de 1905  confirme les termes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur la liberté de conscience et d’exercice des cultes, en rappelant – écoutez bien – que les seules restrictions admises à cette liberté sont celles concernant les troubles à l’ordre public. Précisant même : « toutes les fois que l’intérêt de l’ordre public ne pourra être légitimement invoqué, dans le silence des textes ou le doute sur leur exacte interprétation, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur. […] Le principe de la liberté de conscience et du libre exercice du culte domine toute la loi »

Il s’agit d’une laïcité qu’on pourrait définir par : « ne rien interdire et n’obliger à rien ». Les choses vont changer, notamment après  2001.En 2003 François Baroin rend un rapport commandé par le premier ministre Jean-Pierre Raffarin et intitulé « Pour une nouvelle laïcité ».
Cette nouvelle laïcité se présente comme une « exception française » opposée au «modèle anglo-saxon » jugé « trop accommodant envers les religions ». C’est un tournant. Il s’agit en effet de sortir la religion, non plus seulement de son interaction avec l’Etat, mais de l’espace public tout entier.
Comme le rappellent les professeurs de droit Stéphanie Hennette-Vauchez et Vincent Valentin, le religieux est perçu comme un microbe qui corrompt le vivre-ensemble. Les citoyens devraient renoncer à la part d’eux-mêmes qui n’est pas commune, dès lors qu’ils entrent dans l’espace public. Et cette vision de la laïcité est portée aussi bien par des personnes de droite comme de gauche.
«La religion doit rester dans la sphère privée» martèle régulièrement Eric Zemmour, par exemple.

Ce rapport se détourne délibérément de la conception libérale de la laïcité issue de la loi de 1905, dont elle inverse pratiquement le propos. Il préconise non plus seulement un État laïque, mais une société laïque – Voire une société athée.
Une inversion qui s’appuie sur un glissement de sens du mot « public ». La loi de 1905, lorsqu’elle distingue le « privé » du « public », utilise ce terme dans le sens juridique de « république », services publics, institutions administratives . 
Le rapport l’utilise dans le sens spatial , c’est à dire, ce qui n’appartient pas à la sphère intime. C’est la raison pour laquelle, si la loi de 1905 n’interdit pas les pratiques, manifestations, expressions religieuses dans ce qui est  aujourd’hui convenu d’appeler « l’espace public », la « nouvelle laïcité » appelle à les en exclure.

Cette logique de spatialisation de la « nouvelle laïcité « s’illustre tout particulièrement dans le rapport de la Commission Stasi et l’adoption en 2004 de la loi sur les signes religieux « ostentatoires » dans les écoles publiques françaises.

Rappelons d’ailleurs que ces interdictions s’appliquent majoritairement aux femmes (en réalité on n’a jamais empêché un homme portant une chechia ou une kippa d’entrer dans un espace public). On peut s’interroger sur un éventuel reliquat d’esprit sexiste dans ce phénomène, même si ce sont souvent des militantes féministes qui en sont les porte-paroles, mais c’est un autre débat.

Certains vont même beaucoup plus loin, en défendant une conception spirituelle, pratiquement religieuse de la laïcité, que Jean Bauberot appelle le « laïcisme »

C’est le cas par exemple de Luc Ferry, philosophe et ministre de l’Éducation nationale de 2002 à 2004 (auteur de « La Révolution de l’amour. Pour une spiritualité laïque »), et de Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale de 2012 à août 2014 (auteur de « Une nouvelle religion pour la République, la foi laïque de Ferdinand Buisson »). Comme le dit sans ambages Jean Baubérot, c’est une « laïcité falsifiée ». En fait, la « nouvelle laïcité » n’est pas laïque, bien au contraire. C’est une forme de religion qui prétend imposer sa croyance à toute la société.

Il existe pourtant quelques tentatives pour de remettre en question ce « laïcisme ». Ils viennent des mouvements de droite qui cherchent en fait, nous y reviendrons dans la seconde partie de cet exposé, à stigmatiser la religion montante : l’Islam. Pourtant, l’ambiguïté de la définition de la laïcité se traduit aussi par des positions contradictoires au plus haut niveau de l’Etat.
Il fut par exemple question de mentionner les « racines chrétiennes » de l’Europe dans la constitution européenne. Ce qui a finalement été rejeté par Jacques Chirac et Lionel Jospin.

Dans son discours du Latran en 2007, Nicolas Sarkozy affirme que « les racines de la France sont essentiellement chrétiennes»  . Une ligne aussitôt démentie par… le pape François en personne qui déclare au quotidien catholique La Croix : « Quand j’entends parler des racines chrétiennes de l’Europe, j’en redoute parfois la tonalité, qui peut être triomphaliste ou vengeresse. Cela devient alors du colonialisme ».

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